mardi 19 mars 2024, Université Paul-Valéry Montpellier 3, Site St. Charles
Cette journée d'étude propose d'aborder les pratiques littéraires sénégalaises en mettant l’accent sur les trois aspects suivants : Pratiques littéraires entre oral et écrit ; Voix et textes entre média et Écrivains entre cultures.
Avec la mondialisation et les nouveaux média, la "littérature sénégalaise" ne tient plus en place. Les écrivains et les formes migrent pour se situer entre cultures et entre formats. Mais en quoi une telle position d'entre-deux implique-t-elle une réflexivité formelle et existentielle entre tradition et modernité?
Pour répondre à une telle question, il convient de se tourner vers les formes contemporaines, comme rap galsen, qui se développent à Dakar depuis 2010 en reprenant au niveau de ce terme générique le verlan avec ses enjeux politiques.
Mais il ne faut pas non plus négliger la manière dont les écrivains résidant en France, comme Fatou Diome et David Diop, revisitent leur culture sénégalaise. Sans envisager un retour réel, ces écrivains proposent des oeuvres dont la réflexivité formelle permettent de mettre en scène différentes formes de dialogue basées sur la relation France-Sénégal, sur les liens de parentés et sur les conflits liés à l’appartenance et à l’exil.
Ces thématiques prennent la forme de correspondances, de dialogues téléphoniques, de narrations orales et écritures romanesques, et les formes présentent donc autant d’interrogations ou réflexions formelles sur les formes littéraires, le positionnement de l’écrivain et la fonction de la littérature.
Il est cependant crucial, pour comprendre les enjeux de telles pratiques formellement et
existentiellement auto-réflexives, de passer par la tradition littéraire. Dans une telle perspective, cette tradition est moins à considérer comme objet de transmission patrimoniale que comme substrat ou matière à ressources créatives et critiques.
D'une part, l'hybridité de l'oeuvre d'Ousmane Sembène, qui réécrit Germinal de Zola et qui imite les cinéastes de la nouvelle vague n'est pas sans impliquer une forte charge postcoloniale et anti-raciste. D'autre part, l'importance de l'écriture féministe de Mariama Bâ et Aminata Sow Fall posent le problème existentiel de l'entre-deux en prenant pour thème le mariage inter-ethnique et en abordant le conflit entre la logique économique de la vie urbaine et la vie en pacte avec la nature et les esprits au village.
C’est justement d’un tel héritage littéraire sénégalais que se nourrit une oeuvre comme celle de Ken Bugul, dont on commence seulement à entrevoir l’importance pour une auto-réflexivité sénégalaise. La trajectoire de cette femme écrivain, entre le monde occidental et ses origines sénégalaises, situe son écriture entre la tradition orale africaine et l’histoire littéraire occidentale. Ainsi, dans son premier roman Le Baobab fou (1984), Bugul relate l’importance pour son destin de l’école (post)coloniale formatrice des esprits, et le déracinement par rapport au village et à la vie familiale. En fondant avec ce livre une trilogie romanesque, elle revient sur son expérience européenne et son retour au pays pour s’interroger sur son destin personnel et l’idéologie qui l’a conditionné. Elle exploite, de manière concertée, l’écriture occidentale pour fonder une autofiction (africaine) tout en créant une prose rythmique qui renoue avec tradition populaire au Sénégal?
Si on a pu parler des formes hybrides de l’oraliture, il convient de retrouver ce motvalise pour le réinterroger par rapport à l'entre-deux de l'écrivain. Si certains critiques retrouvent, justement, Ken Bugul sous les traits de la femme écrivain mythologisée par Mohamed Mbougar Sarr dans son roman La plus secrète mémoire des hommes, ne peut-on pas y voir un tour de passe qui permet à l’écrivain de de fonder une réflexivité sénégalaise entre mélancolie et performance porteuse de perspectives littéraires et existentielles ?