Invité de la rencontre d'Automne 2024 avec son livre "Les bons ressentiments"
Invité de la rencontre d'Automne 2024 avec son livre "Les bons ressentiments"
L’édition 2024 de la Rencontre d’Automne s’est déroulée le 28 novembre, à l’Hôtel d’Aurès, à Montpellier.
Elgas et son livre Les bons ressentiments ont suscité un vif intérêt du public montpelliérain lors de la Rencontre d’Automne 2024.
L’entretien, animé par Pénélope Dechaufour et
Maxime Del Fiol, a captivé un public venu en nombre à la rencontre de l’écrivain.
El Hadj Souleymane Gassama, dit Elgas, est journaliste, écrivain et docteur en sociologie.
Il est né à Saint-Louis, a grandi à Ziguinchor au Sénégal, et vit depuis une quinzaine d’années en France. Ses recherches portent sur le don, la dette et les transferts d’argent.
Il est chercheur associé à l’IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et s’intéresse particulièrement aux questions d’identité, de démographie, et de démocratie sur le continent africain, et à ses rapports avec la France.
Il a publié un carnet de voyage, Un Dieu et des moeurs (Présence Africaine, 2015), une biographie, Fadilou Diop, un Juste (Vives Voix, 2021), un roman, Mâle Noir (Ovadia, 2021), et un essai, Les bons ressentiments (Riveneuve, 2023). Il anime l’émission radiophonique Afrique, mémoires d’un continent sur RFI.
Le livre soutient d’abord (chapitre 1 et 2) qu’en Afrique et dans la diaspora africaine et afro-descendante, la dénonciation récurrente des crimes coloniaux de l’Occident et en particulier de la France ainsi que la revendication, à cause de cette histoire coloniale, d’une rupture avec l’Occident et la France et d’un retour à l’Afrique et aux valeurs africaines authentiques dominent aujourd'hui le paysage culturel, médiatique et politique. Beaucoup d’intellectuels, de journalistes, d’acteurs culturels et d’hommes politiques instrumentalisent ainsi l’histoire coloniale pour expliquer tous les problèmes contemporains de l’Afrique et occulter les causes internes de ces problèmes. Tous ceux qui en Afrique ou dans la diaspora africaine essaient de montrer qu’il y a en réalité un partage de responsabilité entre la France et ses anciennes colonies, qui refusent le manichéisme et le repli exclusif sur l’Afrique, qui revendiquent des appartenances multiples, multiculturelles, transnationales, et qui souhaitent donc garder des liens avec la France et plus généralement l’Occident, sont accusés d’être des « aliénés ».
L’aliénation est ainsi le terme employé pour disqualifier tous ceux qui cherchent à dépasser l’antagonisme post-colonial et ce que le livre appelle les « bons ressentiments », expression qui désigne selon l'auteur cette bonne conscience anti/postcoloniale qui consiste à trouver qu’il est légitime de continuer à en vouloir exclusivement à l’ancienne puissance colonisatrice pour les préjudices subis dans le passé à cause de la colonisation. Pour l’auteur, les études postcoloniales et la pensée décoloniale sont les deux courants de pensée qui, par leur volonté de rupture plus ou moins radicale avec l’Occident, incarnent et emblématisent aujourd’hui cette attitude au plan intellectuel. Le livre dénonce la mauvaise foi, l'hypocrisie et même la « schizophrénie » de ces accusations et de ces accusateurs.
Il ne s’agit pas pour autant de disculper la France et plus généralement l'Occident et d’adopter une attitude de naïveté ou de déni concernant leurs responsabilités historiques et les transformations de leur domination néo-coloniale. Dans les parties 3 et 4, le livre rappelle en particulier les responsabilités historiques écrasantes de la France dans son histoire coloniale et il détaille les métamorphoses de la Françafrique, qui s’est adaptée aux transformations politiques du continent africain et qui réussit aujourd’hui le tour de force d’intégrer, de valoriser et de financer même ses plus virulents accusateurs. Dans la dernière partie, et dans la sorte d’épilogue que constitue le bref chapitre final, « Perspectives personnelles », il esquisse quelques pistes pour envisager, à défaut d’une sortie vers le "post" du colonial, puisqu’il paraît difficile à ce jour de s’affranchir définitivement de cette histoire coloniale, du moins un dépassement possible de l’amertume et de la blessure coloniales.
Le livre représente donc un pas de côté par rapport aux approches habituelles en Afrique et dans la diaspora sur l’histoire coloniale. Il exprime la position d’entre-deux d’Elgas, intellectuel africain ayant grandi au Sénégal, venu en France pour ses études universitaires, docteur en sociologie de l’université de Caen et installé en France depuis une quinzaine d’années, qui est parfaitement conscient des héritages de l’histoire coloniale, mais qui défend aussi l’idée qu’on peut être un intellectuel africain en France sans être un aliéné ni à l’inverse sans être nécessairement obligé de se situer du côté d’un décolonialisme de rupture : un intellectuel africain qui, conscient des mécanismes de domination, refuse en même temps d’être éternellement prisonnier de l’histoire coloniale ou d’être condamné au statut de victime.